Le manifeste du LaboPraxéo

Manifeste


La praxis, telle que nous l’entendons, est enchâssée par le discours philosophique qui nous précède. Partant de celui-ci, nous comprenons que la praxis est l’articulation, dans une relation dialectique, du rapport pratique/théorie, ou dit autrement du rapport action/connaissance. Dès lors que cette action a pour visée la transformation d’Autrui et du monde, cette relation a comme tiers concept une finalité : « c’est l’intention d’une transformation du réel, guidée par une représentation du sens de cette transformation, prenant en considération les conditions réelles et animant une activité » (C. Castoriadis).

C’est cette visée de transformation (le tiers concept) qui unifie sous le primat du sens la relation action/connaissance, qui l’organise en réalité et l’oriente dans le temps et l’espace.  Cette visée de transformation, d’Autrui et du monde, se faisant, est également transformation de soi et du rapport de soi au monde. Elle est une visée non seulement comme fin, mais aussi comme moyen, inséparable d’une connaissance qui se construit infiniment et indéfiniment dans l’action. 

Fort de cette conception, le Laboratoire de Praxéologie, privilégie comme sujets/objets de recherche sociale les intervenants sociaux, plus particulièrement les travailleurs sociaux, dans la mesure où ils sont amenés professionnellement, de par leur mission socio-politique, à transformer la situation d’Autrui. L’action concrète qu’ils engagent est alors à nos yeux pleinement reconnue comme étant une praxis. Toutefois, la connaissance mobilisée et le sens qui organise les praxis des travailleurs sociaux demeurent souvent opaque, perceptible en deçà de son intelligibilité, tant pour l’acteur lui-même que pour Autrui, voire pour un observateur extérieur.

Le Laboratoire de Praxéologie vise à soutenir la démarche qui permet de révéler les composantes des praxis mises en œuvre par les travailleurs sociaux, afin d’amener le sens des pratiques sociales à une intelligibilité partagée, à une connaissance critique, à une confrontation axiologique. L’assertion que nous accordons au concept de praxéologie se détourne ainsi du courant historique qui faisait de la praxéologie la science des comportements et actes utilitaristes et opérationnels de l’homme. 

Cette démarche, nous la qualifions de praxéologique dans la mesure où elle se caractérise par trois critères.

  1. Elle se caractérise du fait que la démarche réflexive relative à la praxis dans le champ de l’intervention sociale se veut un parcours de recherche scientifique visant la production de connaissances jusqu’à l’émergence rationnelle du sens des praxis.
  2. Elle se caractérise par le fait que la praxis, objet de recherche de l’auteur, est dans le champ de sa propre expérience d’acteur.
  3. Elle se caractérise du fait que c’est l’action, reconstruite en objet de recherche, qui détermine la mobilisation pertinente de savoirs mono, pluri, trans ou inter disciplinaires.

Dans le cheminement scientifique, ensemble ces trois critères constituent une singularité dans la posture, la méthodologie et la production de connaissances.  Cette posture singulière nous la rattachons au courant initié par Henri Desroche dans les Collèges Coopératifs et le Réseau des Hautes Etudes des Pratiques Sociales. Il s’agit de la recherche-action, celle conduite par les praticiens, relative à leur action distanciée, objectivée, référencée, revitalisée par les connaissances et somme toute renouvelée. 

La recherche-action n’est pas une discipline, elle est avant tout une posture de recherche. C’est cette posture qui n’est pas académique. Elle est une méthodologie singulière. Elle est le premier enjeu, épistémologique et pédagogique, qui fonde tous les autres. La posture de la recherche-action détermine le fait que l’objet et la question de recherche émanent du champ d’action en rapport avec l’expérience de son auteur. La mobilisation des connaissances qui en découle pour traiter la question de recherche se préoccupe moins du passage des frontières disciplinaires que de la pertinence des concepts et des méthodes utilisés. Ainsi donc, il en résulte, au regard des douaniers de la discipline, des identités mono disciplinaire, ou multi, trans, interdisciplinaire. Or, si nous partons de la posture de recherche, l’enjeu épistémologique, n’est pas dans le classement disciplinaire, mais dans le processus de production par lequel se construit une connaissance scientifiquement acceptable à partir d’une connaissance d’expérience. C’est là que réside la spécificité de la recherche en travail social et son épistémologie. 

Le Laboratoire de Praxéologie vise à réactualiser cette posture épistémologique qui trace dans la recherche scientifique un chemin singulier de production de connaissances, un chemin qui se fonde sur une critique de l’action, laquelle ne vient pas de l’extérieur mais par ceux qui l’exercent, d’où son aspect démocratique et émancipatoire. 

Remblayer ce chemin épistémologique est le programme de recherche du LaboPraxéo.